L’intérêt porté ici pour le travail de Gisèle Gonon s'articule autour de deux questions qui trouvent leur convergence dans son création… la première a pour perspective la pensée propre au sociologue et philosophe Jean Baudrillard, des simulations et des simulacres ; l’autre interroge le paysage et ses singularités.
Léthos pictural que Gisèle Gonon convoque dans sa peinture via le motif paysager ouvre une réflexion sur l’immatérialité et la désubstantialisation de la présence.
Ses tableaux interrogent en effet l'hypothèse baudrillardienne de la "perte du réel". Cette perte inscrite dans les succédanés (avatars) du paysage est aussi un moyen de reconquérir l'éventuel paysage « perdu ».
C'est dans les détails et l’indéterminé du peint que son univers chromatique, s'inspirant de paysages de jeux vidéos (n'existant que « virtuellement ») se réinvente : Gisèle Gonon en recomposant le paysage par la peinture lui redonne une présence.
De sa démarche découle un va-et-vient conceptuel entre l'idée d'un paysage vide de réel et sa réappropriation par la peinture elle-même, selon un processus pointilliste exempt de face-à-face avec la nature, comme si au-delà du paysage il n'y avait plus que l'artefact pictural pour recomposer le monde.
Derrière le décor, il y a la peinture : pour comprendre notre attachement au travail de cette artiste et en préambule à son texte, rappelons ici quelques concepts de Baudrillard qu'il appelle les quatre âges ou plus exactement les quatre âges plus un. Ce « plus un » c'est l'aujourd'hui, cet aujourd'hui vide dont prend acte Gisèle Gonon.
Le philosophe définit en effet une généalogie composée de quatre temps : la première période, dont les limites demeures floues, en constituerait l'âge féodal et primitif.
La seconde qu'il nomme « l'âge de la contrefaçon » est profondément baroque : elle repose sur le développement du théâtre, donc du faux et de l' imitation de la nature. Pour Baudrillard cette période s'étend de la Renaissance à l'ère industrielle.
La troisième époque est celle de la production industrielle, du travail machinique, des objets en série, du capitalisme mais également de l'inconscient, qui rejoue lui aussi l'opposition signifiée/signifiant : car dans l'aujourd'hui, l'on est confronté à cette impossibilité dialectique du signe.
La quatrième époque marque l'âge de la simulation, celui du code génétique, de l'ADN, de la consommation et de l'information... Le vivant, les événements, les objets se transforment en un système de signes interchangeables. C'est ce que Baudrillard a décrit plus particulièrement dans son livre L'échange infini . La conclusion de ce livre est que l'aujourd'hui serait au-delà de cet échange infini.
Nous serions non plus de l'autre côté du décor mais sans...
Cet aujourd'hui est donc la cinquième période : celle du virtuel.
« Le numérique, le langage artificiel, l'image de synthèse ne sont pas des simulacres, le signe n'y est plus ce qu'il était, puisqu'il n'y a plus de « réel », dont il soit le signe» ; « le virtuel », dit-il encore, « est l'extermination du référent, l'aujourd'hui c'est l'extermination du signe, la liquidation du réel». Par virtuel, Baudrillard entend « crime, crime parfait, solution finale ».
Gisèle Gonon tente, modestement, de redonner un décor dont les détails colorés quadrillent tel « un malgré tout » l'espace de la peinture, recréant de la substance, fût-elle pixelisée, dans ces paysages liquidés qui « revivent » par et dans la peinture.
Philippe Roux, Revue De(s)générations n°17 «Ville Recto», 2012